Une chose qui n'a rien de commun avec une autre ne peut pas être cause de son existence.
VI. Une chose qui est cause de soi ne peut s'être limitée elle-même.
VII. Ce par quoi les choses sont conservées est, de sa nature, antérieur à ces choses.
Propositions.
I. Aucune substance réelle ne peut posséder un attribut qui appartient déjà à une autre substance ; en d'autres termes, il ne peut exister dans la nature deux substances qui soient réellement distinctes.
Démonstration. – En effet, puisque ce sont deux substances, elles sont distinctes, et (par l'ax. II) elles se distinguent soit réellement, soit modalement ; mais elles ne peuvent se distinguer modalement, car alors les modes seraient antérieurs à la substance (contre l’ax. I) ; il faut donc qu'elles se distinguent réellement. Donc (par l'ax. IV), elles ne peuvent avoir rien de commun. Q. E. D.
II. Une substance ne peut être cause de l'existence d'une autre substance.
Une telle substance n'a rien en soi qui la rende capable d'une telle action (par la 1° proposition), car la différence de l'une et de l’autre est réelle : c'est pourquoi (par l’ax. V) l’une ne peut pas produire l’autre.
III. Toute substance est infinie de sa nature et est absolument parfaite en son genre.
Dém. – Aucune substance (par la 2° proposition) ne peut être produite par une autre. Donc, si elle existe réellement, ou elle est un attribut de Dieu, ou elle est cause d'elle-même en dehors de Dieu. Dans le premier cas, elle est nécessairement infinie et parfaite en son genre, comme tous les attributs de Dieu ; dans le second cas, elle l’est également, car (par l’ax. VI) elle n’a pu se limiter elle-même.
IV. L'existence appartient nécessairement à l'essence, et il est impossible qu'il y ait dans l'entendement infini l'idée de l'essence de quelque substance, qui n'existerait pas réellement dans la nature.
Dém. – La vraie essence d'un objet est quelque chose de réellement distinct de l’idée de cet objet ; et ce quelque chose, ou bien existe réellement (par l'ax. III), ou est compris dans une autre chose qui existe réellement et dont il ne se distingue que d'une manière modale et non réelle. Telles sont les choses que nous voyons autour de nous, lesquelles, avant d'exister, étaient contenues en puissance dans l’idée de l’étendue, du mouvement et du repos, et qui, lorsqu'elles existent, ne se distinguent de l'étendue que d'une manière modale et non réelle. Mais il impliquerait contradiction :
1° Que l'essence d'une substance fût comprise ainsi dans l’idée d’une autre chose, dont elle ne se distinguerait pas réellement (contre la 2° proposition) ;
2° Qu'elle pût être produite par le sujet qui la contient (contre la 1° proposition) ;
3° Enfin, qu'elle ne fût pas infinie de sa nature et souverainement parfaite en son genre (contre la 3° proposition). Par conséquent, son essence ne pouvant être comprise dans aucune autre, elle doit exister par elle-même.
Corollaire.
La nature est connue par soi et non par aucune autre chose. Elle est constituée par un nombre infini d’attributs dont chacun est infini ou parfait en son genre, et tel que l'existence appartient à son essence, de telle sorte qu'en dehors d'elle il ne peut y avoir aucune essence et aucun être, et qu’elle se confond absolument avec l'essence auguste et bénie de Dieu.
II. DE L'ÂME HUMAINE.
(1) L'homme étant une chose créée et finie, ce qui, en lui, possède la pensée, ce que nous appelons âme, est nécessairement un mode de cet attribut auquel nous donnons le nom de pensée ; et rien autre chose que cette modification ne peut appartenir à son essence ; au point même que si cette modification est détruite, l'âme humaine est détruite en même temps, tandis que l’attribut de la pensée demeure inaltérable.